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۱۳۹۳ اسفند ۲۲, جمعه

Mohamed Hassan : "La Grèce est un exemple pour toute l’Europe"

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12 mars 2015
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Le bras de fer engagé entre la Grèce et l'Union européenne depuis l'élection de Syriza relance le débat sur la sortie de l'UE. Pour certains, point de salut pour le peuple grec tant qu'il restera prisonnier du carcan européen. Les traités gravés dans le marbre ne laisseraient aucune chance au réformisme, les négociations sur la dette et l'austérité seraient perdues d'avance. Pour d'autres, une sortie de l'UE raviverait les démons nationalistes et porterait un coup fatal à la solidarité entre les peuples du Vieux continent. Les luttes sociales devraient ainsi se mener nécessairement à l'échelle européenne. Sortir ou pas ? Telle est la question, et nous l'avons posée à Mohamed Hassan qui extirpe ce dilemme d'un débat figé. Il met en lumière les opportunités et les menaces qui gravitent autour de la crise grecque et nous explique comment cette dynamique pourrait inspirer les travailleurs à travers toute l'Europe. Encore faut-il tirer les leçons de l'Histoire et ne pas tomber dans les pièges réactionnaires de l'islamophobie et de l'antisémitisme...



Pensez-vous que la Grèce est prête à quitter l’Union européenne ?

Il y a deux points de vue au sein des forces progressistes de Grèce. Les communistes du KKE voient l’Union européenne comme un club d’impérialistes. La Grèce, en tant que pays des Balkans, devrait quitter l’Europe, nouer des alliances régionales et mener une révolution socialiste, ce qui n’est pas possible au sein de l’UE. Ce parti n’a pas récolté beaucoup de voix lors des dernières élections.

L’autre tendance est incarnée par Syriza, une coalition de la gauche radicale dont la principale composante, Synaspismos, regroupe des dissidents du KKE qui ont été rejoints par des organisations et des petits partis d’inspiration trotskiste, écologiste, anarchiste, etc. Ils pensaient que la Grèce pourrait profiter de l’adhésion à l’UE. Ce qui est tout à fait compréhensible. Personne n’a envie de vivre dans un taudis. Alors, quand on vous propose de rejoindre le palais d’un club de riches comme l’UE, vous ne dites pas non.

Mais la conscience du peuple grec s’est éveillée ces dernières années. Avec ces recettes que le FMI avait déjà imposées en Afrique et en Amérique latine dans les années 70 et 80, la Grèce a traversé une expérience particulièrement douloureuse. Nous avons assisté à la destruction totale des travailleurs grecs. Cette expérience a éveillé la conscience politique des travailleurs, mais aussi celle de la petite-bourgeoise et l’intelligentsia. Une grande partie d’entre eux n’est cependant pas prête à quitter l’Europe. Ils espèrent qu’il y aura une réforme au sein de l’UE et que le FMI fera une pause. Voilà où nous en sommes aujourd’hui avec Syriza.

Mais le nouveau gouvernement ne semble pas en mesure de tenir toutes ses promesses électorales. Après les premières négociations avec l’Eurogroupe, certains l’ont accusé de faire déjà machine arrière. Est-ce la preuve qu’un gouvernement ne peut pas mener de réformes sociales ambitieuses au sein de l’UE où le néolibéralisme est gravé dans les traités ?

Je ne veux pas juger les actions de Syriza. Le succès de ce parti est le résultat de la frustration et de la colère du peuple grec aujourd’hui. Nous ne pouvons pas dire encore comment il va évoluer. La réaction de l’élite européenne sera déterminante. Elle pourrait lâcher du lest pour ne pas aller jusqu’à la rupture. Mais une faction plus dure de cette élite préconise l’intransigeance. Ils ne veulent pas que la Grèce devienne un exemple pour tous ceux qui contestent les politiques d’austérité. Si les leaders européens se montrent intransigeants avec le gouvernement grec, une sortie de l’UE pourrait être une solution.

Une sortie de l’Union européenne ne mettrait-elle pas à mal la solidarité entre les travailleurs ? N’y a-t-il pas aussi un risque de voir de nouvelles guerres éclater en Europe ?

De manière générale, je ne pense pas que la sortie est la solution. L’avantage avec cette Union européenne où le capital est particulièrement concentré, c’est qu’elle place les travailleurs du continent face au même ennemi. Que vous soyez Français, Espagnol, Belge ou Grec, vous êtes confronté au capital européen.

Quant au risque de guerres... Au Congrès de la Paix de 1849, Victor Hugo appelait à créer les « Etats-Unis d’Europe. » Il avait estimé que les armées permanentes des nations européennes coûtaient annuellement quatre milliards. « Messieurs, la paix vient de durer trente-deux ans, et en trente-deux ans la somme monstrueuse de cent vingt-huit milliards a été dépensée pendant la paix pour la guerre ! », remarquait le poète. « Supposez que les peuples d’Europe, au lieu de se défier les uns des autres, de se jalouser, de se haïr, se fussent aimés : supposez qu’ils se fussent dit qu’avant même d’être Français, ou Anglais, ou Allemand, on est homme, et que, si les nations sont des patries, l’humanité est une famille ; et maintenant, cette somme de cent vingt-huit milliards, si follement et si vainement dépensée par la défiance, faites-la dépenser par la confiance ! Ces cent vingt-huit milliards donnés à la haine, donnez-les à l’harmonie ! Ces cent vingt-huit milliards donnés à la guerre, donnez-les à la paix ! »

L’Europe s’est construite. Mais les gouvernements n’ont pas beaucoup investi dans l’harmonie et les budgets de l’armée restent mirobolants. Victor Hugo ne pêchait-il pas par idéalisme ?

Victor Hugo souhaitait une Union européenne pour construire la paix, mais il lui manquait encore la compréhension des mécanismes qui conduisent à la guerre. Lénine les a saisis. Dans un livre écrit en 1916, en pleine Première Guerre mondiale, il a démontré comment le capitalisme menait à la guerre, les grandes puissances se disputant le monde pour trouver des débouchés pour leurs capitaux et ainsi augmenter sans cesse leurs profits. Aussi, lorsqu’en 1915, Lénine écrit sur les Etats-Unis d’Europe, il avait déjà conscience de cette réalité. Et s’il partageait le vœu de Victor Hugo, il précisait : « Au point de vue des conditions économiques de l’impérialisme, c’est-à-dire des exportations de capitaux et du partage du monde par les puissances coloniales “avancées” et “civilisées”, les États-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires ».

Lénine expliquait qu’il pouvait y avoir un accord temporaire entre les bourgeoisies européennes, mais que la lune de miel serait nécessairement de courte durée. En effet, le capitalisme est par nature inégal. Le développement de l’un se fait au détriment de l’autre. On le voit très bien aujourd’hui avec les contradictions qu’il y a entre l’Allemagne et les pays du sud de l’Europe. Dans cette maison européenne, tous les capitalistes n’ont pas la même force. Si vous n’aviez que des tigres, l’alliance aurait pu fonctionner. Mais la vie n’est pas comme ça. Vous avez des tigres, des lapins, des tortues et même des phoques. Et ces animaux ne pourraient pas passer une alliance pour vivre en harmonie, car ce n’est pas dans leur nature. C’est pareil pour l’Union européenne. La puissance de développement des pays capitalistes est déterminante dans une telle union. Les rapports sont inégalitaires. Tôt ou tard, la crise arrive et l’accord est remis en question. C’est pourquoi Lénine disait que les Etats-Unis d’Europe devaient se créer sur base des peuples, c’est-à-dire sur base du socialisme.

Mais l’Union européenne ne s’est pas construite sur cette base. Pourquoi ne pas la quitter alors ?

C’est vrai que l’Union européenne, avec tous ses traités, est devenue un instrument redoutable d’exploitation au profit du capital. Mais une sortie de l’UE ne changera pas l’affaire, car on ne peut pas considérer le capitalisme à l’échelle nationale comme un phénomène endogène qui se développerait sans relation avec l’extérieur. Autrement dit, si la France par exemple quittait l’UE, elle ne deviendrait pas une île déserte au milieu de l’océan. Les Qataris continueraient à acheter des produits français, la France continuerait à acheter des produits allemands, etc. De plus, ce n’est pas parce que la France quitterait l’UE que les capitalistes français décideraient soudainement d’exploiter plus gentiment les travailleurs.

Vous parliez de développement inégal au sein de l’Union européenne. Comment l’Allemagne est-elle devenue le poids lourd de cette union au détriment d’autres pays comme la Grèce ou l’Espagne ?

Il faut d’abord comprendre que cette Union européenne est un accident de la contre-révolution lancée en Europe de l’Est pour stopper l’influence du communisme. Après la Deuxième Guerre mondiale, les Etats-Unis étaient tentés par le pillage de l’Allemagne, mais ils ont préféré aider ce pays à se redresser pour en faire un rempart contre l’Union soviétique. C’est ainsi que l’embryon de l’Union européenne a été injecté, l’Allemagne se trouvant coupée en deux avec d’un côté, la République fédérale d’Allemagne (RFA), rattachée à l’Ouest, et de l’autre la République démocratique allemande (RDA), affiliée à l’Union soviétique.

En 1990, lorsque le bloc soviétique s’est effondré, l’Allemagne de l’Ouest a annexé la RDA qui était le dixième pays le plus industrialisé au monde. À travers cette annexion, les capitalistes allemands ont racheté les usines de la RDA et les ont fermées. La classe ouvrière très qualifiée de la RDA s’est donc trouvée brusquement au chômage. Les capitalistes allemands ont alors pu instaurer une concurrence féroce entre les travailleurs de la RFA et de la RDA. Cette concurrence a poussé les salaires vers le bas dans l’Allemagne réunifiée. Cette baisse du prix de la main d’œuvre a offert un avantage comparatif à l’Allemagne et a favorisé ses exportations. L’économie allemande s’est ainsi fort développée, mais ce développement a impliqué une destruction systématique des droits des travailleurs allemands. On a créé en Allemagne une peur terrible de perdre son travail si bien que le nombre de grèves a fortement diminué et que certains en sont venus à accepter des jobs à un euro de l’heure. Parallèlement, la part des revenus de la bourgeoisie allemande a considérablement augmenté.

Au détriment des travailleurs allemands. Mais aussi des pays du sud de l’Europe ?

Je suis allé avec mes enfants en Espagne il y a longtemps. Un buffet à volonté pour les petits coûtait trois fois rien. L’Espagne comptait alors des millions de touristes venus de toute l’Europe. En Espagne, en Grèce et au Portugal, l’industrie du tourisme connaissait un développement très important. Mais l’euro a détruit cette industrie, car il a entraîné une augmentation des prix. Dans les pays du sud, les prix sont devenus presque les mêmes que dans les pays du nord de l’Europe. Mais les salaires n’ont pas évolué de la même manière ! L’euro a en fait entraîné un transfert de richesses des travailleurs vers le capital.

On peut considérer l’euro comme une usine de chaussures qui ne fabrique que des tailles 42. Si votre pied est trop grand, vous devez vous couper des orteils. Si votre pied est trop petit, vous êtes bon pour mettre des cailloux dans le fond de votre chaussure. Et c’est l’Allemagne qui décide de la taille de ces chaussures. Beaucoup d’Européens n’aiment pas cela, mais c’est un fait. L’Union européenne s’est ainsi développée de manière très inégalitaire. Comme l’avait prédit Lénine en imaginant les Etats-Unis de l’Europe sur base du capitalisme. L’Union européenne est en fait devenue une reproduction du système des castes en Inde. Tout en haut de la pyramide, vous avez les Brahmanes, c’est-à-dire les Allemands. Et aujourd’hui, les Grecs sont les Intouchables.



Comment la crise grecque pourrait-elle influencer le reste de l’Europe ?

Nous allons voir comment la bourgeoisie européenne va réagir par rapport à Syriza. Démocratiquement, les Grecs ont voté contre la politique de l’UE, contre les décisions de la Troïka et contre les ajustements structurels. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a beau dire que les élections ne changent pas les traités, comment compte-t-il discipliner la Grèce ? Le peuple grec est plus éveillé que par le passé et mène la lutte à travers le système démocratique. Il y a d’abord eu un sentiment antiallemand, car les Grecs voyaient que les ajustements structurels étaient dictés par Berlin. Et dans un premier temps, l’extrême droite a profité du mécontentement en Grèce. Mais aujourd’hui, les travailleurs grecs sont prêts à entendre d’autres arguments. Ils ne se laissent plus endoctriner par les théories fumeuses sur le chauvinisme, le racisme, etc.

Et cette évolution pourrait gagner le reste de l’Europe où les problèmes deviennent de plus en plus importants pour les travailleurs. Quand il y a autant de chômage chez les jeunes, quand vous vous faites du souci pour vos enfants qui ne savent pas se payer une maison, quand le pays connait de sérieux problèmes démographiques, alors, les idéologies fascistes n’atteignent plus le cœur de la classe ouvrière et la contradiction arrive au sein de partis sociaux-démocrates. Partout en Europe, ces partis sont punis à présent. On ne les prend plus au sérieux.

Là où les partis traditionnels sont en perte de vitesse, l’extrême droite en profite. Mais cela ne va pas durer, car les gens vont se rendre compte de l’incompétence de ces petits partis. Prenez l’exemple de la N-VA en Belgique. Ce parti est resté populaire tant qu’il était dans l’opposition. Mais si vous rassemblez tous les ministres N-VA du gouvernement actuel, ils ne seront pas capables de gérer plus de cinq minutes cette petite cuisine où nous nous trouvons. Le niveau politique de leur leadership est excessivement bas et ils n’ont pas de solution à apporter à la crise. En Grèce, on a déjà dépassé ce stade. Ailleurs en Europe, on essaie encore d’éclipser les problèmes de fond avec des idéologies réactionnaires.

Quelles sont ces idéologies réactionnaires qui sèment la confusion aujourd’hui en Europe ?

Tout d’abord, l’islamisme réactionnaire et l’islamophobie qui sont en fait les deux faces d’une même médaille. Dans notre livre Jihad made in USA, nous avons analysé ce que recouvrait ce terme « islamisme ». Il y a derrière ce concept cinq courants dont certains sont contradictoires. L’islamisme réactionnaire est l’un d’eux. Et il est important de voir d’où vient ce courant et pourquoi il est si populaire aujourd’hui. Toutes ces interrogations nous mènent vers l’Arabie saoudite, un royaume féodal dont la création a été soutenue à l’époque par la Grande-Bretagne pour affaiblir l’Empire ottoman et qui, depuis la découverte du pétrole, entretient une relation privilégiée avec l’Occident, surtout avec les Etats-Unis. Cette relation donne carte blanche à l’Arabie saoudite pour promouvoir sa vision réactionnaire de l’islam jusqu’en Europe. Si vous allez dans une librairie islamique à Bruxelles par exemple, la plupart des livres de théologiens traduits en français sont édités par l’Arabie saoudite. Vous pouvez trouver d’autres bouquins très intéressants et plus progressistes sur l’islam, mais ils sont généralement écrits en arabe littéraire. L’Arabie saoudite est le principal pays qui a les moyens et la possibilité d’éditer des livres en français. Elle peut ainsi toucher un public qui ne lit pas l’arabe et diffuser son interprétation arriérée de l’islam.

Pourquoi ceux qui prétendent lutter contre le fanatisme ne remontent-ils pas à la source ? En réalité cette intelligentsia européenne qui écrit jour et nuit sur le fanatisme religieux renforce ce contre quoi elle prétend lutter. Ces charlatans qui se focalisent uniquement sur l’islam, la démocratie, la liberté d’expression, etc. Ils ont un diplôme de la Sorbonne, mais vivent encore au Moyen-âge dans leur tête.

En 1909, Lénine commentait les débats qui déchiraient le parlement russe sur le budget de l’Église. Et il mettait en garde sur la diversion et la division que pouvaient impliquer de telles palabres. « Nous ne devons pas permettre qu’une question relativement particulière masque la question fondamentale des intérêts et de la politique de la bourgeoisie, en tant que classe. » Or, aujourd’hui en Europe, vous avez une pseudogauche qui ne s’attaque plus au problème fondamental des inégalités sociales, mais qui vous rabâche sans cesse les oreilles avec la laïcité. Ce qui est très contre-productif. Prenez l’exemple de la Belgique. Dans les années 50 et jusqu’aux années 80, les chrétiens démocrates constituaient la première force politique en Flandre. Dans cette partie du pays, les écoles catholiques constituent la majeure partie du réseau d’enseignement. En Wallonie, la proportion est inversée, vous avez surtout des écoles publiques laïques. Cette domination du courant catholique en Flandre s’expliquait par le fait qu’autrefois, le nord du pays était surtout peuplé par des paysans très croyants alors qu’en Wallonie où l’industrie s’était davantage développée durant le 19e siècle, le socialisme était plus important. Mais quelle est la situation aujourd’hui alors que la Flandre s’est fortement développée durant le 20e siècle et ne compte plus autant de paysans ? Les chrétiens démocrates ne sont plus la première force politique au nord du pays. En Wallonie, ils ont même changé leur nom pour en faire disparaitre l’appartenance religieuse. Les églises se vident. On ne sait plus quoi en faire. Certaines sont transformées en hôtels, d’autres en salles de spectacle. On voit donc qu’à travers le développement d’une société capitaliste, la religion recule. Lénine posait donc la question aux anticléricaux : pourquoi écrire sans cesse sur la religion ? Pourquoi jeter de l’huile sur le feu ? La laïcité, aux mains de ces réactionnaires européens, est devenue un instrument servant à diviser les masses. Voilà le piège qu’il faut éviter.

Mais Lénine était aussi un farouche défenseur de la laïcité et les communistes ont la réputation d’être des « bouffeurs de curé »...

Lénine défendait une vision plus progressiste de la laïcité. « Nous exigeons que la religion soit une affaire privée vis-à-vis de l’État, mais nous ne pouvons en aucune façon considérer la religion comme une affaire privée en ce qui concerne notre propre Parti. L’État ne doit pas se mêler de religion, les sociétés religieuses ne doivent pas être liées au pouvoir d’État. Chacun doit être parfaitement libre de professer n’importe quelle religion ou de n’en reconnaître aucune, c’est-à-dire d’être athée, comme le sont généralement les socialistes ».

Ainsi, bien que prônant une séparation stricte de l’État et de la religion, Lénine ouvrait les rangs de son parti aux croyants, tout socialiste qu’il était : « L’unité de cette lutte réellement révolutionnaire de la classe opprimée combattant pour se créer un paradis sur la terre nous importe plus que l’unité d’opinion des prolétaires sur le paradis du ciel. Voilà pourquoi, dans notre programme, nous ne proclamons pas et nous ne devons pas proclamer notre athéisme ; voilà pourquoi nous n’interdisons pas et ne devons pas interdire aux prolétaires, qui ont conservé tels ou tels restes de leurs anciens préjugés, de se rapprocher de notre Parti. Nous préconiserons toujours la conception scientifique du monde ; il est indispensable que nous luttions contre l’inconséquence de certains “chrétiens”, mais cela ne veut pas du tout dire qu’il faille mettre la question religieuse au premier plan, place qui ne lui appartient pas ; qu’il faille laisser diviser les forces engagées dans la lutte politique et économique véritablement révolutionnaire au nom d’opinions de troisième ordre ou de chimères, qui perdent rapidement toute valeur politique et sont très vite reléguées à la chambre de débarras, par le cours même de l’évolution économique. La bourgeoisie réactionnaire a partout eu soin d’attiser les haines religieuses — et elle commence à le faire chez nous — pour attirer de ce côté l’attention des masses et les détourner des problèmes économiques et politiques réellement fondamentaux, problèmes que résout maintenant le prolétariat russe, qui s’unit pratiquement dans sa lutte révolutionnaire. »

Il y a près de cent ans donc, Lénine dénonçait l’instrumentalisation de la religion pour diviser les classes. Une analyse qui reste plus que jamais d’actualité !

Tout à fait. L’Europe traverse une grave crise économique et la situation se détériore de façon dramatique pour les travailleurs. On augmente l’âge de la retraite alors que le chômage explose chez les jeunes, de plus en plus de familles n’arrivent pas à joindre les deux bouts alors que le nombre de milliardaires a atteint un niveau record en 2014... Et une prétendue gauche vous explique que le problème aujourd’hui, c’est qu’on réserve des créneaux horaires pour les femmes voilées à la piscine ! Vous mesurez l’ampleur des dégâts sur le fond idéologique ?

Une autre théorie réactionnaire sème la confusion. Elle attribue tous les maux aux juifs, que ce soit la crise économique ou les guerres impérialistes. Nourrie à l’antisémitisme, elle accomplit en fait le même objectif que la théorie islamophobe en détournant l’attention des vrais problèmes et en divisant les masses.

C’est une thèse qui a effectivement pris de l’ampleur ces dernières années et qui divise jusqu’au sein de mouvements progressistes... Quel est le fond du problème selon vous ?

L’exploitation des travailleurs par une élite économique qui continue de s’enrichir pendant la crise. Cette élite utilise même la crise pour démanteler les acquis sociaux et faire toujours plus de profit. Et cette élite n’a rien à voir avec le judaïsme. Si l’on poursuit jusqu’au bout la logique de ces mouvements antisémites qui se revendiquent de l’anti-impérialisme, il suffirait de se débarrasser des juifs pour résoudre tous les problèmes. Très bien. C’est ce qu’Hitler avait entrepris et vous savez quoi ? Les conditions des travailleurs allemands n’avaient rien d’enviable, croyez-moi ! Dans l’Allemagne nazie, les syndicats avaient été détruits ainsi que les conventions collectives, la part des salaires dans le PIB avait fortement chuté et la semaine de travail avait été poussée jusqu’à 60 heures. Donc, pas besoin des juifs pour exploiter les travailleurs. De même, en France aujourd’hui, le problème ne vient pas de juifs. Le problème, c’est l’impérialisme français en alliance avec d’autres classes impérialistes qui exploitent les travailleurs en France et dans d’autres parties du monde. D’un côté, l’impérialisme français mène des guerres contre des peuples innocents loin de ses frontières comme en Libye ou en Syrie. De l’autre côté, il sème la guerre au sein de son propre peuple.

Il faut étudier l’Histoire. Les gens ne connaissent plus rien aujourd’hui et c’est un véritable problème. Il est nécessaire de s’instruire et d’ouvrir le dialogue. Moi-même, Éthiopien issu d’une famille musulmane, lorsque je suis arrivé en Europe, la première chose que j’ai faite, c’était d’étudier l’Histoire de ce continent. Et à travers cela, j’ai aussi étudié l’Histoire des juifs en Europe. Le racisme envers les juifs est le plus important qu’on n’ait jamais connu en Europe. Et il est passé par différentes phases. Il y a d’abord eu des mouvements de protestants en Angleterre au début du 19e siècle qui ont soutenu le sionisme. Ils voulaient rassembler tous les juifs dans un pays pour les convertir ensuite.

Début du 19e ? C’était bien avant Theodore Herzl et le Congrès de Bâle en 1897...

Le projet sioniste de Herzl est venu plus tard en effet et à l’époque, la majorité de juifs européens y était opposée. Mais une nouvelle phase d’antisémitisme s’est développée ensuite. Elle a trouvé sa pleine expression avec Hitler qui cherchait lui aussi à détourner la colère légitime des travailleurs envers le patronat. Hitler expliquait aux Allemands que leur ennemi n’était pas le capital, mais les juifs. Il avait pour modèle l’industriel US Henry Ford qui, entre 1920 et 1922, avait écrit toute une série d’articles antisémites. C’était une nouvelle forme d’antisémitisme qui n’avait plus rien à voir avec l’antisémitisme chrétien. Il s’agissait plutôt de dépeindre les juifs comme un peuple cherchant à contrôler le monde à travers la finance, la révolution bolchévique et même le jazz !

Enfin, les puissances européennes se sont débarrassées de la question juive avec la création d’Israël. Ces juifs qu’on a envoyés en Palestine étaient européens, ils ont été discriminés, parqués dans des ghettos et persécutés. Finalement, les puissances impérialistes les ont utilisés comme agents pour faire d’Israël un gendarme à leur service au Moyen-Orient. Je considère en fait la création d’Israël comme le plus haut niveau de l’antisémitisme européen. Je le répète, il faut étudier l’Histoire. Alors vous comprendrez ce que c’était d’être juif en Europe. Je ne soutiens pas la politique sioniste d’Israël, mais je soutiens les juifs qui ont souffert et parmi lesquels ont trouve des progressistes d’exception. Il faut lire La destruction des Juifs d’Europe de Raul Hilberg ou bien encore The Stars Bears Witness de Bernard Goldstein. Un travail précieux que les sionistes voudraient cacher aujourd’hui pour mieux instrumentaliser le souvenir de l’Holocauste au profit de la politique coloniale d’Israël. Eux non plus ne veulent pas éduquer les gens. Comme les racistes, ils surfent sur l’ignorance des masses.

Une dernière chose, le racisme n’a pas commencé le jour où un homme blanc a découvert un homme noir. Le racisme a débuté quand un blanc est devenu raciste envers un autre blanc. C’était à la fin du 15e siècle, c’était en Irlande. L’Irlande était à l’époque l’Oxford du monde catholique. Toutes les grandes villes d’Europe rêvaient d’avoir un prêtre irlandais. Pour des raisons économiques et stratégiques, l’Angleterre colonisa l’Irlande. Le conflit fut long et atroce. Et l’Angleterre protestante le présenta comme un conflit religieux pour semer la confusion parmi les masses. Le racisme ne relève donc pas de la génétique. C’est un rapport de force, un instrument de domination.

Aujourd’hui, ces idéologies réactionnaires n’ont plus la même emprise sur les Grecs. Parce que l’expérience qu’ils ont endurée ces dernières années a élevé leur conscience politique. Et la même chose pourrait se produire dans le reste de l’Europe où la situation se dégrade. Quand vous ne savez plus payer vos factures, votre souci n’est pas de savoir ce que font les femmes voilées à la piscine. Mao disait que pour prendre la ville, il fallait d’abord prendre les zones rurales qui l’entouraient. La Grèce, l’Espagne et l’Italie sont les zones rurales de l’Union européenne. Et elles pourraient très bien devenir le point de départ d’un vaste mouvement progressiste qui s’étendra à toute l’Europe.

Source : Investig’Action

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