Islamisme (1/6): Les traditionalistes historiques face au colonialisme
- 06 Avr 2017
L’islamisme, un concept fourre-tout? Dans le livre Jihad made in USA, Mohamed Hassan distingue cinq courants différents aux intérêts parfois contradictoires. Ce premier extrait est consacré au courant traditionaliste.
Qu’entendez-vous par islamiste traditionaliste ?
Les traditionalistes ont marqué la fin du 19ème siècle et le début du 20ème. Sur le continent africain, ce sont des personnages emblématiques comme Abdelkrim al-Khattabi (1882-1963) au Maroc, l’émir Abdelkader (1808-1883) en Algérie, Omar Al Mokhtar (1862-1931) en Libye, le Mahdi du Soudan (1844-1885) ou Mohammed Abdullah Hassan (1856-1921) en Somalie.
Contrairement à la plupart des combattants islamistes d’aujourd’hui, les traditionalistes n’avaient pas comme principal objectif d’établir un État musulman. Ils craignaient surtout d’être bousculés par toutes ces pratiques, nouvelles et inconnues, qu’apportait le colonialisme.
L’islam était avant tout pour eux un instrument permettant de mobiliser la population et de rallier des combattants pour lutter contre les puissances coloniales. Vous trouviez également ce genre de combattants islamistes au Proche et au Moyen-Orient, dans des pays comme l’Égypte, l’Irak ou la Turquie.
L’islam était-il un bon instrument de lutte anticoloniale ?
Certains traditionalistes ont donné beaucoup de fil à retordre aux puissances coloniales mais ces dernières pouvaient elles aussi recourir à l’islam pour asseoir leurs desseins. Les Britanniques ont été des précurseurs en la matière et Allan Octavian Hume incarne assez bien cette approche. Cet administrateur installé aux Indes durant la deuxième moitié du 19ème siècle a été particulièrement choqué par la famine qui frappait la colonie à l’époque. Les Indiens étaient pourtant très productifs dans le secteur agricole. Mais tout était pillé par la métropole qui revendait la production indienne sur le marché mondial. Alors que les colons britanniques venaient de rencontrer un important mouvement de contestation avec la révolte des Cipayes (1857), mouvement qui se référait tant à l’hindouisme qu’à l’islam, sir Hume en conclut qu’il fallait gouverner autrement sous peine de voir la colonie échapper à tout contrôle.
Gouverner autrement ?
Il pensait que les Britanniques devaient impliquer davantage l’élite indienne dans la gouvernance de la colonie. Sir Hume a ainsi favorisé la création du Parti du Congrès qui deviendra par la suite l’un des fers de lance de la lutte pour l’indépendance et qui est encore aujourd’hui l’une des principales formations politiques en Inde.
En procédant de la sorte, l’administrateur colonial ne se tirait-il pas une balle dans le pied ?
Les colonies étaient de toute façon amenées à disparaître sous cette forme où les exigences de la métropole étaient imposées par la force sans tenir compte de l’intérêt des populations locales. La démarche de sir Hume n’a donc pas précipité le déclin des colonies. Au contraire, en impliquant les élites indiennes, les Britanniques pouvaient mieux faire passer la pilule de leur domination.
Quel rôle vient jouer l’islam dans cette nouvelle manière de gouverner les colonies ?
A Sokoto par exemple, une colonie du nord du Nigeria, la Grande- Bretagne a laissé l’aristocratie locale appliquer ses lois inspirées de l’islam. Le tout dans un cadre supervisé par les règles coloniales, bien entendu.
Après la défaite d’Abdelkader en Algérie, la France a emprunté la même voie en cherchant à s’allier des leaders religieux pour pacifier la colonie. Mais pour mieux imposer la culture française, Paris a parallèlement veillé à éliminer les intellectuels musulmans qui garantissaient la transmission des traditions locales et de la langue arabe.
En Somalie, un capitaine italien débarqua au début du 20ème siècle et paya des chefs religieux pour qu’ils prononcent une fatwa, c’est-à-dire un avis juridique de condamnation, à l’encontre du traditionaliste Mohammed Abdullah Hassan. Cette fatwa plongea la résistance dans la confusion. Également impliqués dans le conflit, les Britanniques sautèrent sur l’occasion pour surnommer Hassan le « Mad Mollah », le mollah fou.
En conclusion, on peut dire que l’islam ne pose aucun problème aux puissances coloniales tant qu’elles peuvent en profiter selon leurs propres intérêts. Les impérialistes vont alors s’appuyer sur les chefs religieux et l’aristocratie locale, généralement issus des classes rurales, pour mieux gouverner les territoires conquis.
Vous disiez que les islamistes traditionalistes ne voulaient pas être bousculés par les pratiques coloniales. Ces chefs religieux et cette aristocratie locale ne craignaient-ils pas la même chose ?
Ces classes sociales devaient nécessairement être affectées par le processus de colonisation et l’introduction du capitalisme qui en découlait. Mais elles ne craignaient pas de collaborer avec les forces d’occupation dans la mesure où elles tiraient un certain profit de ce partenariat. C’est ainsi que le développement du capitalisme dans les colonies a transformé des élites rurales traditionalistes en bourgeoisie dite compradore. La bourgeoisie compradore s’enrichit en faisant de l’import et de l’export sans développer les bases d’une économie nationale.
À côté du développement de la bourgeoisie compradore, l’introduction du capitalisme dans les colonies pouvait aussi donner naissance à une bourgeoisie nationale désirant l’indépendance. Comment les impérialistes géraient- ils cela ?
Là encore, les puissances coloniales se sont servies de l’islam. Mais il ne s’agissait plus, dans ce cas-ci, de pacifier les colonies en s’attirant les faveurs des dignitaires locaux. La religion devenait plutôt un facteur de division destiné à empêcher l’émergence d’une bourgeoisie nationale trop forte pour être contrôlée.
Divide and rule (Diviser pour régner) ?
Encore et toujours ! Dans les Indes par exemple, les Britanniques redoutaient énormément qu’une bourgeoisie nationale prenne le contrôle de ce pays stratégiquement situé et disposant de nombreuses ressources. Pour prévenir ce danger, Londres a favorisé le morcellement du pays en des centaines de principautés, parfois hindoues, parfois musulmanes. Les élections, organisées sous l’égide de l’administration coloniale, favorisaient aussi les divisions en tenant des scrutins pour les hindous et d’autres pour les musulmans.
Vers la fin du 19ème siècle, les Britanniques ont aussi appuyé la création d’une nouvelle secte dans le Penjab : l’ahmadisme. Ce courant se réclame de l’islam et compte aujourd’hui plusieurs millions de fidèles. Mais l’Organisation de la Coopération islamique ne reconnaît pas les ahmadistes comme musulmans. Ce qui devait laisser la Grande-Bretagne royalement indifférente. Son principal objectif restait de créer des facteurs de division. Le plus beau coup de Londres en la matière reste la création du Pakistan.
Pourtant, certains rapports de l’époque révèlent que la métropole britannique était plutôt réticente à la création du Pakistan.
Elle l’était jusqu’à ce que l’indépendance de l’Inde devienne inéluctable. Le développement du capitalisme dans la colonie avait donné naissance à une bourgeoisie musulmane qui craignait d’être mise à l’écart avec l’indépendance de l’Inde. Dès les années 30, cette bourgeoise a donc émis le désir de créer un État spécifique pour les musulmans indiens. Gandhi y était opposé. Il voulait maintenir l’unité du pays et la paix entre les deux communautés. Quant aux Britanniques, frileux au départ, ils ont changé leur fusil d’épaule et se sont décidés à appuyer la création du Pakistan pour faire de ce pays un bastion réactionnaire à leur solde. D’ailleurs, peu de temps après son indépendance, le Pakistan a rejoint le Pacte de Bagdad, une alliance d’États arabes chapeautée par Londres et destinée à contenir la montée du communisme au Moyen-Orient.
Le Pakistan était donc un allié précieux des puissances coloniales ?
Certes, mais leur meilleur atout restait l’Arabie saoudite. Nous avons vu comment les Britanniques ont utilisé l’islam pour diviser l’Inde. La même technique a en fait été appliquée à tout le Moyen-Orient. C’est ici que l’Arabie saoudite intervient et c’est maintenant que nous abordons la deuxième grande figure que je distingue parmi les islamistes : les réactionnaires.
A suivre: Les réactionnaires : cette « merveilleuse » Arabie saoudite
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