OUZBÉKISTAN XIe siècle – Le Persan qui a découvert l’Amérique
Abu Rehan Al-Biruni, lettré musulman,
aurait peut-être découvert le Nouveau Monde des siècles avant
Christophe Colomb, grâce à la seule puissance de ses calculs.
- Al-Biruni, érudit de génie, était un touche-à-tout. Outre l’existence d’un autre continent, il s’était également intéressé aux phases de la Lune, comme le prouve cette illustration de sa main provenant d’un de ses ouvrages.
Photo DR
Depuis plus de cent ans, universitaires, passionnés et farfelus se
posent la question : qui a vraiment découvert l’Amérique ? Certaines
théories, totalement excentriques, évoquent la présence de Phéniciens à
Rhode Island, ou de Chinois dans ce qui n’était pas encore la baie de
San Francisco. Dans les années 1950, Thor Heyerdahl, anthropologue et
navigateur norvégien haut en couleur, affirmait que les Péruviens, à
bord de voiliers en balsa, faisaient régulièrement l’aller-retour entre
les Amériques et la Polynésie, longtemps avant que Christophe Colomb ne
prenne la mer.
Plus sérieusement, des spécialistes scandinaves se sont penchés sur les sagas nordiques, en quête de preuves de l’antériorité de la découverte des côtes nord-américaines par leurs ancêtres. L’histoire des Vikings fendant les flots à bord de leurs navires pour explorer et coloniser le Groenland est aujourd’hui bien connue. Elle a été confirmée par des fouilles archéologiques le long du littoral groenlandais. Au début du XXe siècle, le professeur norvégien Gustav Storm a aussi démontré que les hommes du Nord avaient effectué plusieurs voyages jusqu’au Canada, vers des contrées qu’ils avaient baptisées Markland (le sud de l’actuel Labrador), Helluland (l’île de Baffin) et Vinland (la Nouvelle-Ecosse).
A peu près à l’époque où les Vikings exploraient le Groenland, une découverte d’un autre genre se déroulait loin de tout océan. Depuis des milliers d’années, des négociants venus de ce qui est aujourd’hui l’Ouzbékistan, le Turkménistan et l’Afghanistan convoyaient des marchandises dans de longues caravanes parcourant l’Eurasie. Rentrés chez eux, ces marchands d’Asie centrale racontaient leurs aventures, consignant des informations détaillées sur la géographie et le climat des terres qu’ils avaient visitées, des récits qui étaient ensuite rassemblés et étudiés par des lettrés locaux.
Le plus brillant de ces érudits était Abu Rehan Al-Biruni (973-1048). Né à Kath, près de la mer d’Aral, il s’était dans sa jeunesse familiarisé avec les mathématiques, l’astronomie, la minéralogie, la géographie, la cartographie, la géométrie et la trigonométrie. Il parlait le persan, l’arabe et le chorasmien, la langue de la dynastie sunnite qui régnait alors sur une grande partie de l’Iran. Par la suite, il apprit également le sanskrit.
L’astrologie d’Abu Rehan Al-Biruni
A 17 ans, Biruni calcule la latitude et la longitude de Kath. Puis, s’aidant de sources grecques antiques, il collecte des données géographiques sur le monde méditerranéen, auxquelles il entreprend d’ajouter les coordonnées d’autres lieux situés aux quatre points cardinaux. Ayant lu des auteurs antiques comme Claude Ptolémée (90-168 de notre ère), mais s’inspirant aussi de sources plus récentes et de ses propres observations sur le terrain, il en déduit que la Terre est ronde. A l’âge de 30 ans, il fait appel aux systèmes les plus sophistiqués de son temps pour en calculer la circonférence précise.
Arrivé à la conclusion que la Terre est une sphère, il entreprend de placer sur la nouvelle carte du monde qu’il dresse tous les endroits connus à son époque. C’est là qu’il s’aperçoit que, selon ses calculs, toute la masse eurasienne, du point le plus occidental de l’Afrique au point le plus oriental de Chine, ne représente que deux cinquièmes du globe. Qu’y a-t-il sur les trois cinquièmes restants ? La plupart des géographes, de l’Antiquité jusqu’au XIe siècle, considéraient que le continent eurasiatique était entouré d’un “Océan mondial”. Mais un monde ainsi couvert d’eau ne risque-t-il pas d’être déséquilibré ? Biruni en conclut qu’un ou plusieurs autres continents doivent exister. Ces terres sont-elles des déserts sauvages ou abritent-elles des populations ? Se replongeant dans ses données sur les latitudes et les longitudes de lieux connus, il constate que l’homme peuple une vaste bande nord-sud qui va de la Russie au sud de l’Inde et au cœur de l’Afrique.
C’est en 1037 que Biruni parvient à ses conclusions historiques quant à l’existence du Nouveau Monde, en se fondant sur ses recherches menées pendant trente ans. Peut-on dire qu’il a découvert l’Amérique durant le premier tiers du XIe siècle ? En un sens, non, bien sûr. Il n’a jamais posé les yeux sur le Nouveau Monde ni sur les continents dont il parle dans ses écrits. Alors que les Vikings, eux, ont bel et bien débarqué en Amérique du Nord un peu avant l’an 1000, même s’ils n’ont pas compris à l’époque ce qu’ils venaient de trouver. Mais Biruni mérite au moins autant qu’eux le titre de découvreur de l’Amérique. Surtout que le processus intellectuel par lequel il a fini par conclure à l’existence d’un nouveau continent n’est pas moins époustouflant que ses conclusions elles-mêmes. Car plutôt que les méthodes de navigation aléatoires des marins vikings, il a usé d’une habile combinaison d’observations méticuleuses, de données quantitatives soigneusement collectées et de logique rigoureuse. Il faudra attendre encore près cinq siècles avant qu’une analyse aussi rigoureuse soit appliquée à l’exploration du monde.
—S. Frederick Starr
Publié en décembre History Today (extraits) Londres
Plus sérieusement, des spécialistes scandinaves se sont penchés sur les sagas nordiques, en quête de preuves de l’antériorité de la découverte des côtes nord-américaines par leurs ancêtres. L’histoire des Vikings fendant les flots à bord de leurs navires pour explorer et coloniser le Groenland est aujourd’hui bien connue. Elle a été confirmée par des fouilles archéologiques le long du littoral groenlandais. Au début du XXe siècle, le professeur norvégien Gustav Storm a aussi démontré que les hommes du Nord avaient effectué plusieurs voyages jusqu’au Canada, vers des contrées qu’ils avaient baptisées Markland (le sud de l’actuel Labrador), Helluland (l’île de Baffin) et Vinland (la Nouvelle-Ecosse).
A peu près à l’époque où les Vikings exploraient le Groenland, une découverte d’un autre genre se déroulait loin de tout océan. Depuis des milliers d’années, des négociants venus de ce qui est aujourd’hui l’Ouzbékistan, le Turkménistan et l’Afghanistan convoyaient des marchandises dans de longues caravanes parcourant l’Eurasie. Rentrés chez eux, ces marchands d’Asie centrale racontaient leurs aventures, consignant des informations détaillées sur la géographie et le climat des terres qu’ils avaient visitées, des récits qui étaient ensuite rassemblés et étudiés par des lettrés locaux.
Le plus brillant de ces érudits était Abu Rehan Al-Biruni (973-1048). Né à Kath, près de la mer d’Aral, il s’était dans sa jeunesse familiarisé avec les mathématiques, l’astronomie, la minéralogie, la géographie, la cartographie, la géométrie et la trigonométrie. Il parlait le persan, l’arabe et le chorasmien, la langue de la dynastie sunnite qui régnait alors sur une grande partie de l’Iran. Par la suite, il apprit également le sanskrit.
L’astrologie d’Abu Rehan Al-Biruni
A 17 ans, Biruni calcule la latitude et la longitude de Kath. Puis, s’aidant de sources grecques antiques, il collecte des données géographiques sur le monde méditerranéen, auxquelles il entreprend d’ajouter les coordonnées d’autres lieux situés aux quatre points cardinaux. Ayant lu des auteurs antiques comme Claude Ptolémée (90-168 de notre ère), mais s’inspirant aussi de sources plus récentes et de ses propres observations sur le terrain, il en déduit que la Terre est ronde. A l’âge de 30 ans, il fait appel aux systèmes les plus sophistiqués de son temps pour en calculer la circonférence précise.
Arrivé à la conclusion que la Terre est une sphère, il entreprend de placer sur la nouvelle carte du monde qu’il dresse tous les endroits connus à son époque. C’est là qu’il s’aperçoit que, selon ses calculs, toute la masse eurasienne, du point le plus occidental de l’Afrique au point le plus oriental de Chine, ne représente que deux cinquièmes du globe. Qu’y a-t-il sur les trois cinquièmes restants ? La plupart des géographes, de l’Antiquité jusqu’au XIe siècle, considéraient que le continent eurasiatique était entouré d’un “Océan mondial”. Mais un monde ainsi couvert d’eau ne risque-t-il pas d’être déséquilibré ? Biruni en conclut qu’un ou plusieurs autres continents doivent exister. Ces terres sont-elles des déserts sauvages ou abritent-elles des populations ? Se replongeant dans ses données sur les latitudes et les longitudes de lieux connus, il constate que l’homme peuple une vaste bande nord-sud qui va de la Russie au sud de l’Inde et au cœur de l’Afrique.
C’est en 1037 que Biruni parvient à ses conclusions historiques quant à l’existence du Nouveau Monde, en se fondant sur ses recherches menées pendant trente ans. Peut-on dire qu’il a découvert l’Amérique durant le premier tiers du XIe siècle ? En un sens, non, bien sûr. Il n’a jamais posé les yeux sur le Nouveau Monde ni sur les continents dont il parle dans ses écrits. Alors que les Vikings, eux, ont bel et bien débarqué en Amérique du Nord un peu avant l’an 1000, même s’ils n’ont pas compris à l’époque ce qu’ils venaient de trouver. Mais Biruni mérite au moins autant qu’eux le titre de découvreur de l’Amérique. Surtout que le processus intellectuel par lequel il a fini par conclure à l’existence d’un nouveau continent n’est pas moins époustouflant que ses conclusions elles-mêmes. Car plutôt que les méthodes de navigation aléatoires des marins vikings, il a usé d’une habile combinaison d’observations méticuleuses, de données quantitatives soigneusement collectées et de logique rigoureuse. Il faudra attendre encore près cinq siècles avant qu’une analyse aussi rigoureuse soit appliquée à l’exploration du monde.
—S. Frederick Starr
Publié en décembre History Today (extraits) Londres