Le Front national compte bien exploiter les peurs

GRÉGORY MARIN
VENDREDI, 9 JANVIER, 2015
L'HUMANITÉ
Les réactions haineuses du FN contre une partie de nos compatriotes démontrent qu’il s’exclut 
lui-même du jeu républicain et qu’il n’a pas sa place dans la marche organisée dimanche.
« J’attends que mon téléphone sonne. » Marine Le Pen, à qui le journaliste de France 2, Roland Sicard, demandait hier lors de l’émission les Quatre Vérités, si Manuel Valls l’avait conviée à la « marche des républicains », pourrait attendre longtemps. Car si « l’unité nationale », au nom de laquelle les partis républicains appellent à se rassembler dimanche, ne souffre aucune défection, la teneur des réactions de la présidente du Front national et des cadres de son parti les exclut de fait de ce champ.
« Notre culture, nos libertés, nos valeurs, notre mode de vie ont été attaqués », commentait l’héritière d’une longue tradition d’extrême droite en France. Avant de lâcher ces mots, terribles : « La France doit être en guerre contre le fondamentalisme islamique. » En guerre contre une partie de nos compatriotes, dit-elle donc, se basant sur le « constat lucide du niveau d’infiltration de l’islam radical sur notre territoire ». Et de cibler, dans un odieux amalgame dont elle est coutumière, « ces gens qui ont la double nationalité » : il faut « les déchoir de la nationalité française ». Musulmans, binationaux (de quelle origine ?), tous seraient soupçonnables. Et tous sont soupçonnés. Dans le même sac que les assassins des journalistes de Charlie Hebdo. Ce sont « les vrais ennemis, les ennemis de l’intérieur », qu’Éric Zemmour stigmatisait dans son billet sur RTL, hier. C’est « le retour de la guerre », éternelle et inévitable, que le polémiste de droite extrême décelait dans l’acte odieux du 7 janvier, dont il fait « notre 11 septembre ». « On avait oublié que la France a toujours été le pays des guerres civiles et des guerres de religion », a-t-il lâché, établissant une continuité entre « la guerre d’Algérie », le « terrorisme d’Iran en 1985 » et encore « l’Algérie de 1995 ». Et de prédire un futur aux accents houellebecquiens : « La parenthèse enchantée est finie »… Les dernières livraisons de Riposte laïque, figure de proue de la fachosphère, ne disaient pas autre chose, quand elles évoquaient avec gourmandise « une avant-première de ce qui attend la France ».
Ces derniers jours, ce sont les polémiques nées de la publication du dernier opus de Michel Houellebecq, Soumission, qui assuraient les ventes de journaux. L’écrivain y met en scène une France islamisée – la victoire d’un candidat islamiste à l’élection présidentielle de 2022, sur fond de démission face au FN de la droite et de la gauche –, semblant reprendre à son compte les délires sur l’« Eurabia » (une Europe arabisée) ou le « grand remplacement » de Renaud Camus. L’extrême droite n’a pas tardé à faire le lien. Parmi les premiers à réagir à l’attentat de la rue Appert, Louis Aliot, un des vice-présidents du FN, évoquait « un pays où la querelle littéraire, avec le livre d’Houellebecq, le débat sur la religion prennent une tournure extraordinaire ». Et de vouloir « relancer le débat sur la présence de l’islamisme dans nos banlieues et sur l’ensemble du territoire français », comme Marine Le Pen voulait relancer celui sur la peine de mort pour les « crimes graves ». Toute occasion est bonne…
Le terrain est depuis quelque temps occupé par cette idée d’une confrontation imminente entre un « eux » et un « nous » fantasmés. Les unes de Causeur, de Valeurs actuelles, du Point, de l’Express établissant un lien, sinon expliqué, du moins suggéré (par des photos de femmes voilées par exemple) entre allocataires du RSA ou de la CMU et immigrés, quand ce n’est pas entre délinquance et immigration, en sont le stigmate. La presse ouvertement d’extrême droite n’a plus à forcer le trait : consciemment ou pas, la « guerre » d’occupation des esprits était déjà déclarée. Dans ce contexte, la notion même d’« unité nationale » devrait être questionnée. D’abord parce que le Front national s’en exclut lui-même, on l’a vu. Enfin, parce que parmi les représentants de la droite dite républicaine déjà annoncés dimanche, certains comme Alain Juppé et Laurent Wauquiez, ont repris l’idée d’une France en « guerre », fragmentant par avance la communauté d’esprit attendue d’un tel rassemblement.