20mars 2010
« Eïdeh noroozetan mobarak » (joyeux Norooz, jour neuf). Aujourd’hui 20 mars, jour du printemps, en harmonie avec le renouveau de la nature, tous les Iraniens, peu importe leur ethnie ou leur religion, fêtent le nouvel an. Au contraire du calendrier arabe, lunaire, l’iranien est solaire. L’heure du nouvel an coïncide donc exactement avec l’équinoxe de printemps, et varie selon les années, qui comptent ainsi exactement 365 jours un quart. Cet après-midi, à 18 heures 32 (heure de Paris) nous fêtons l’entrée dans l’an 1389, date basée sur l’Hégire (migration du prophète Mahomet de La Mecque à Médine).
Après deux semaines d’achats de vêtements neufs, et de nettoyage complet de leur maison (c’est la tradition), les familles se réunissent la veille du premier jour de l’année et attendent ensemble le passage au « jour nouveau ». Elles ont disposé sur une nappe (soffreh), le haft sin (« sept S »), sept objets commençant par le son « S » en persan, à choisir entre des lentilles ou du blé, que l’on a soigneusement fait pousser au préalable (symbole de pureté et de fertilité), des pommes (santé et beauté naturelle), de l’ail (médecine), du sumac (couleur du lever du soleil), du vinaigre (âge et patience), du samanu, une pâte confectionnée avec des germes de blé (pour l’affluence), des olives de Bohème (amour), une jacinthe (arrivée du printemps) ou des pièces (prospérité). Les Iraniens aiment agrémenter la nappe de bougies (lumières), un miroir, des œufs coloriés (pour chaque membre de la famille), des poissons rouges (vie), et un Coran ou un recueil de poésies (Shahnameh de Ferdowsi ou Divan de Hafez).
Ce nouvel an est issu des plus lointaines traditions zoroastriennes (première religion monothéiste au monde, et religion officielle de l’Empire perse), il y a plus de trois mille ans. Pourtant, les dirigeants de la République islamique n’ont eu cesse depuis trente et un ans de tenter de supprimer cette fête perse, considérée comme « païenne », au profit de commémorations musulmanes telles l’Aïd El-Kebir et l’Aïd Al-Ghadeer. Mais rien n’y a fait, le peuple iranien a mis un point d’orgue à perpétuer cette tradition perse, symbole de leur “Iranité”.
D’ailleurs, le 23 février dernier, l’assemblée générale des Nations Unies a reconnu le 21 mars comme journée internationale de Norouz, faisant rentrer cette tradition dans la liste de l’héritage culturel intangible de l’Humanité du patrimoine mondial de l’UNESCO.
En plus des 70 millions d’Iraniens, pas moins de 230 millions de personnes célèbrent le Norouz à travers la planète, notamment dans les Balkans, le Caucase, le Moyen-Orient, l’Asie centrale, le nord de la Chine, et l’Asie du sud. Cette tradition est aussi massivement célébrée par les Iraniens dans le monde entier, et leur permet, l’espace d’une journée, de se rapprocher de leur pays.
A quelques secondes du Saleh tahvil (changement d’année), le compte à rebours est lancé: “Dix, neuf, huit…deux, un, zéro!” Des cris s’échappent des maisons voisines, bientôt suivis par des applaudissements. De la musique “made in Los Angeles” émane des foyers dont toutes les lumières sont allumées. De nombreux appels sont passés vers la diaspora exilée à l’étranger, tandis que des pétards éclatent dans la rue.
Le lendemain, 1er farvardin (21 mars), 1er jour de la nouvelle année, débutent les traditionnels Eïd didani, ou visites du nouvel an. L’ensemble de la famille se rend chez l’aîné, qui a préparé un succulent sabzi polo mahi (riz aux herbes vertes accompagné de poisson), plat traditionnel du Norouz. Les plus jeunes pour qui ce nouvel revêt le rôle de Noël, se voient offrir par leurs aînés des eidi (cadeaux), quelques billets neufs cachés dans un Coran ou dans le recueil des “Prédictions” (fall) de Hafez.
Ces visites sont souvent l’occasion pour les familles iraniennes de se retrouver dans la joie et la bonne humeur, d’oublier les difficultés de l’année passée, et d’entamer dans un souffle neuf et heureux la nouvelle année. Puis les gheybat ou commérages, spécialité iranienne au même titre que les tapis, les pistaches ou le caviar, prennent le dessus.
— Quand vas-tu enfin te marier ?… Ne me dis pas qu’il est avec elle !… Quel radin celui-là !… Avez-vous entendu la dernière ?… Oh, la pauvre, elle est condamnée !
Cette cérémonie va se poursuivre, avec les mêmes personnes chez chacun des invités présents, qui vont en profiter pour vous faire admirer leur maison fraîchement remise à neuf.
Pendant les deux semaines du nouvel an, Téhéran est comme mort. Quinze jours de vacances, politiques comme sociales, pour tout le pays. Beaucoup investissent la Côte nord Caspienne pour son farniente, d’autres partent dans les grandes villes touristiques du Sud, en tête desquelles Ispahan et Shiraz, certains vont skier sur les monts enneigés de plus de 4000 mètres, alors que d’autres enfin se rendent sur l’île paradisiaque de Kish, le “Tahiti iranien”. Méconnaissable, la capitale devient ainsi un paradis pour ses habitants sédentaires, amoureux de la tranquillité, du vent et des bourgeons, loin des traditionnels klaxons et pollution.
Les festivités du Norouz durent 13 jours. Le treizième et dernier jour, nommé “Sizdah Bedar“, (littéralement “Treizième dehors“), les familles se réunissent à l’air libre dans des parcs, pour pique-niquer et ainsi exorciser la malchance liée au chiffre 13. A la fin de la journée, les “Sabzi” (les lentilles cultivées pour le “Haft-Sin” ou “Sept S“) et qui ont désormais bien poussé (car ils ont recueilli toute la maladie et la malchance de l’année passée), sont jetés à l’eau afin d’éloigner tout malheur. Avant de s’en débarrasser, les jeunes femmes célibataires ont pour habitude de nouer leurs tiges en faisant un voeu, pour espérer trouver un mari avant le prochain “Sizdah bedar“.
Cette année, le Norouz revêt aussi une dimension politique. Ainsi, de nombreux Iraniens à travers le pays ont utilisé le “Saleh Tahvil” pour manifester leur mécontentement ainsi que leur soutien au mouvement “vert” d’opposition.
Voici une vidéo prise hier à Shiraz, lors du changement d’année, en face du tombeau du poète perse Hafez. La foule y scande: “Les Iraniens peuvent supporter la mort mais pas l’humiliation”.
Plusieurs personnalités de premier plan en ont également profité pour délivrer un message au peuple iranien. A l’intérieur du pays, les leaders de l’opposition MirHossein Moussavi, Zahra Rahnavard (sa femme), et Mehdi Karoubi, ont souhaité insuffler un nouveau vent d’espoir et annoncé que le mouvement de contestation gouvernemental se poursuivrait en cette nouvelle année.
Plus étonnant, des leaders politiques occidentaux, en la personne du secrétaire d’Etat britannique aux Affaires étrangères, David Miliband, et du Premier secrétaire du Parti Socialiste français, Martine Aubry , ont eux aussi souhaité un “Joyeux Norouz” au peuple iranien. Le premier a exprimé son désir que le peuple iranien puisse “manifester, exprimer librement son point de vue, sans craindre d’être frappé, emprisonné, et tué dans les rues, et dans certains cas, exécutés lors de procès “spectacles”". La seconde, qui a inventé pour l’occasion un nouveau mot américano-iranien, celui de “Newroz” a salué “ceux qui luttent si courageusement et sans violence pour que leur pays évolue vers une société plus juste et plus démocratique“.
Mais la palme du message Norouzi (de Norouz) revient au président américain Barack Obama qui, pour la seconde année consécutive, a souhaité la bonne année non seulement au peuple iranien, mais également à ses dirigeants, leur tendant à nouveau la main malgré neuf mois de féroce répression du peuple. “Notre offre de contacts diplomatiques et de dialogue reste valable“, a-t-il notamment insisté.
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